Entretien avec Laurent Bury,

traducteur de l'Oracle de l'Oiseau Noir
de Deborah Harkness

Laurent Bury Traducteur
© Laurent Bury

C’est tout juste un mois avant la sortie de L’Oracle de l’Oiseau Noir que notre archiviste a eu l’occasion de s’entretenir avec Laurent Bury, le traducteur en charge de la version française du 5ème tome de la série All Souls de Deborah Harkness.

Le livre paraîtra aux Éditions Charleston le 16 octobre 2024, seulement 3 mois après la sortie de la version anglophone, offrant ainsi aux lecteurs français une traduction rapide de ce nouvel opus tant attendu. C’est dire si le défi était grand pour Laurent Bury, traducteur aguerri au parcours passionnant, rompu aux traductions littéraires. 

Cet entretien a été l’occasion de découvrir les coulisses de la traduction, un métier essentiel à nos lectures mais somme toute assez méconnu. C’est avec beaucoup de générosité, de franchise et de simplicité que Laurent s’est prêté au jeu de nos questions et a satisfait notre curiosité.

© Editions Charleston

Comment le manuscrit de l’Oracle de l’Oiseau Noir est-il arrivé dans vos mains ?
Quelle fut votre réaction en le recevant ?

Je collabore depuis 2019 avec les éditions Charleston, qui m’ont initialement contacté pour traduire le livre de Pat Barker Le Silence des vaincues, une réécriture féministe de la guerre de Troie. Comme c’était un texte un peu plus « littéraire » que ce qu’ils avaient l’habitude de publier, ils – mais je devrais plutôt dire « elles » car c’est une maison à peu près exclusivement féminine – cherchaient un traducteur habitué à des ouvrages classiques, et je leur avais été recommandé.

Le résultat leur a plu, et depuis, je n’ai pas cessé de travailler pour elles, ainsi que pour les autres branches des éditions Leduc (notamment Alisio, pour les sciences humaines). Elles m’ont confié d’autres projets ambitieux, comme le dernier roman de Kate Morton, Les Ombres d’Adelaide Hills, paru au printemps 2023.

Quand on m’a proposé de traduire L’Oracle de l’oiseau noir, j’avoue que je ne connaissais pas du tout la série ni son auteure, donc j’ai surtout remarqué que c’était un texte long, qui allait demander un certain temps !

Qu’est-ce que cela fait de recevoir et lire un livre aussi attendu avant tout le monde ?

Eh bien, comme je le disais, je ne connaissais même pas le nom de Deborah Harkness auparavant, donc je ne me rendais absolument pas compte de la popularité rencontrée par les précédents volumes. J’ai d’ailleurs été (agréablement) surpris, en allant en Angleterre cet été, de voir L’Oracle mis en avant dans toutes les librairies : le livre était en effet très attendu, c’est évident, même s’il est écoulé cinq années depuis la parution du quatrième tome de la série.

L'oracle de l'Oiseau Noir en librarie
© Laurent Bury

Concrètement, comment se traduit un tel roman ?

En matière de délais, les éditions Charleston ont d’emblée été très claires : l’ouvrage m’a été proposé le 29 février, en m’annonçant un texte traduisible mi-mars, que je devrais impérativement rendre début juillet pour qu’il soit publié en octobre, puisque l’auteure devait être en Europe fin septembre pour la promotion de son livre.

Heureusement, je suis en général assez rapide, et j’ai pu accepter ces délais, même pour un volume de 800 000 signes.

Pour me familiariser avec l’univers de Deborah Harkness, l’éditeur m’a envoyé le coffret de DVD de la série, dont le visionnage m’a pris nettement moins de temps qu’il ne m’en aurait fallu pour lire les quatre volumes précédents L’Oracle de l’oiseau noir !

Est-ce une difficulté supplémentaire de prendre la suite d’un autre traducteur ? Cela demande-t-il une préparation spécifique ?

Heureusement, là encore, Charleston m’a fourni sous forme de fichier informatique les quatre tomes qu’a traduits Pascal Loubet, parus chez Orbit entre 2011 et 2014 pour les trois premiers, et chez Calmann-Lévy en 2019 pour le dernier.

C’était indispensable, non pour que je les lise de A à Z, mais pour que je puisse faire des recherches d’occurrences, très ponctuelles, afin de savoir comment tel terme avait été traduit, quelle version des prénoms étrangers avait été choisie (« Sidonie Von Borcke » plutôt que « Sidonia », par exemple), afin de préserver la continuité pour les lecteurs fidèles et passionnés, qui auraient été déconcertés par des changements inexplicables.

J’espère ne pas avoir commis d’erreur, mais je ne peux pas en jurer.

Le tome 5 est d’un ésotérisme très poussé. Était-ce déroutant et plus complexe à traduire ?

Pas particulièrement.

En fait, ce qui a surtout été déroutant pour moi, c’est que le texte que j’ai reçu en mars et que j’ai commencé à traduire a ensuite fait l’objet de révisions considérables, Deborah Harkness ajoutant ou retranchant beaucoup de choses, notamment sur la suggestion des différents relecteurs de sa maison d’édition américaine.

Mi-mai, j’ai donc dû reprendre tout le début, déjà traduit, quand j’ai reçu la nouvelle version.

Quant aux derniers chapitres, ils m’ont été livrés très tard sous leur forme définitive, mais juste à temps pour que je rende mon texte dans les délais

Traduction de l'Oracle de l'Oiseau Noir
© Laurent Bury

Avez-vous un passage ou un personnage qui vous a particulièrement touché dans ce livre ?

Attention, spoilers !

J’aime bien Janet Gowdie, qui apparaît seulement dans le dernier tiers du roman, mais qui joue un rôle essentiel, puisque c’est avec elle que Diana se rend ensuite à Venise. Elle est aussi associée à toute l’histoire des flacons à souvenirs, tout en faisant le lien avec l’épisode des sorcières de Salem, puisque son ancêtre Griselda est allée voir les condamnées dans leur prison.

Avec ce roman, vous découvriez l’univers All Souls et indirectement toute sa communauté. Quelles sont vos premières impressions ?

Je suis surtout frappé par la capacité de Deborah Harkness à élargir sans cesse cet univers, car j’imagine que lorsqu’elle s’est lancée dans la rédaction du premier tome, elle ne pouvait pas imaginer qu’elle allait connaître un tel succès, et donc envisager une suite en plusieurs volumes.

Elle parvient très bien à introduire de nouveaux personnages (la famille de Diana du côté de son père, dont on ignorait tout jusque-là) et à faire revenir ceux qui étaient déjà là dès le départ, notamment Ysabeau, la mère de Matthew, que je trouve très amusante quand on la rencontre à Venise.

En tant qu’ancien professeur d’anglais universitaire, que vous inspire l’écriture de Deborah Harkness ?

J’ai apprécié les passages où elle emprunte à divers poètes britanniques ou américains (John Milton, Emily Dickinson, principalement), ceux qui sont écrits dans une langue archaïque ou poétique, qui présentaient un défi pour le traducteur.

Comment devient-on traducteur de romans pour une grande maison d’édition quand on est rédacteur passionné et spécialisé de musique classique et d’opéra ? 

En fait, comme vous venez de le rappeler, mon premier métier était d’enseigner la littérature anglaise à l’université ; j’ai passé l’agrégation, j’ai soutenu une thèse de doctorat (consacrée au romancier victorien Anthony Trollope) et une habilitation à diriger des recherches.

Mais en parallèle, depuis plus de trente ans, j’ai toujours pratiqué la traduction, qu’il s’agisse d’ouvrages de sciences humaines ou de littérature. J’ai eu l’occasion de retraduire quelques classiques, comme Orgueil et préjugés ou Alice au pays des merveilles (pour plus d’informations, voir mon site ).

Ce travail a pris de plus en plus de place dans ma vie, jusqu’au jour où, en 2020, j’ai décidé de démissionner de l’enseignement supérieur pour ne plus vivre que de mon « autre métier ».

Quant à mon activité de chroniqueur musical sur Internet et dans le magazine Classica, c’est une occupation qui m’a été proposée en 2011 et à laquelle, là aussi, j’en suis venu à consacrer beaucoup de temps, mais qui me permet de mettre le nez dehors et de rencontrer du monde, le travail de traducteur étant en revanche assez solitaire.

Deborah Harkness a annoncé avoir 2 autres tomes en préparation, seriez-vous partant pour poursuivre le voyage avec nous ?

Tout à fait, car la fin de L’Oracle de l’oiseau noir laisse clairement entrevoir le volume suivant, qui devrait se dérouler en grande partie à Venise, semble-t-il. Je crois pouvoir vous dire que ces deux tomes en préparation seront également publiés chez Charleston, et qu’il y a donc de grandes chances que je les traduise également.

A condition que la communauté All Souls francophone valide ce choix, bien sûr !

© Editions Charleston